Programme DE SALLE
CONCERT ANNIVERSAIRE - 150 ANS
Dimanche 28 avril 2024 · 20h00
Théâtre des Champs-Elysées
PROGRAMME
L’Apprenti Sorcier
Gabriel PIERNÉ
Concertstück pour harpe et orchestre, op.39
Hector BERLIOZ
Symphonie fantastique (Extraits : Un Bal & Marche au supplice)
PRÉSENTATION
Ce n’est pas tous les jours que l’on fête 150 ans d’existence ! 150 ans de passion, de créations aussi, d’aventures multiples qui ont vu paraître à nos côtés d’immenses solistes : Magda Tagliaferro, Edwin Fischer, Robert Casadesus, Marguerite Long, Vladimir Horowitz, Arthur Rubinstein, Alfred Cortot, Alexis Weissenberg, Jean-Philippe Collard, Sergeï Prokofiev venu jouer son 1er concerto pour piano, Jascha Heifetz, Zino Francescatti, Fritz Kreisler, Nathan Milstein, ou les chanteurs Lauritz Melchior, Ninon Vallin, Fiodor Chaliapine, Mirella Freni, Plácido Domingo, comme de jeunes talents totalement inconnus qui ont trouvé chez nous l’opportunité de prendre leur envol.
Avoir 150 ans, c’est se donner le devoir de rester jeune, ouvert aux créateurs de notre aujourd’hui (comme Edouard Colonne le fut en son temps), et faire découvrir aux jeunes générations la discipline de travail qui engendre la magie du son orchestral. C’est aussi faire perdurer le répertoire qui offre un large éventail de chefs-d’œuvre, et c’est enfin ne jamais oublier l’époque qui nous a vu naître, porteuse de qualités et de failles qui ont rendu nécessaire notre présence.
Si l’on pose un regard circulaire sur les principales institutions sympho- niques, on ne manquera pas de noter que le XIXème siècle (particulièrement la seconde moitié) fut une période qui suscita un remarquable essor de la vie symphonique européenne : ainsi, dès l’année 1828, la France s’attache à fonder l’Orchestre de la Société des concerts du Conservatoire (lequel deviendra, en 1967, l’Orchestre de Paris).
En 1840, en Angleterre, c’est la ville de Liverpool qui s’enorgueillit de la naissance de son Orchestre Philharmonique Royal. Suivront l’Orchestre Philharmonique de Vienne (en 1842), l’Orchestre Philharmonique de Monte- Carlo (1856), l’Orchestre du Gürzenich de Cologne (1857), l’Orchestre Hallé de Manchester (1858), l’Orchestre de la Tonhalle de Zurich (1868), l’Orchestre Philharmonique d’Oslo (1879), l’Orchestre Philharmonique de Berlin et l’Orchestre Philharmonique d’Helsinki (tous deux en 1882), l’Orchestre Royal du Concertgebouw d’Amsterdam (1888), l’Orchestre Philharmonique de Munich (1893), ou l’Orchestre Philharmonique Tchèque (en 1894) dont le concert inaugural fut dirigé par Dvořák lui-même. Nous ne citons ici que les phalanges les plus renommées.
De l’autre côté de l’océan Atlantique, on découvre avec stupéfaction que l’Orchestre Philharmonique de New York vit le jour dès 1842 (la même année que l’Orchestre Philharmonique de Vienne, ce qui constitue un fait assez remarquable et même étonnant pour un pays aussi jeune…). Les autres institutions américaines apparaîtront à la toute fin du XIXème siècle et – sans surprise – durant le XXème : l’Orchestre Symphonique de Boston (1881), l’Orchestre Symphonique de Chicago (1891), l’Orchestre de Philadelphie (1900), l’Orchestre Symphonique de San Francisco (1911), l’Orchestre de Cleveland (1918) et, l’année suivante, l’Orchestre Philharmonique de Los Angeles (1919).
Ce tour d’horizon élargi amène aussi d’autres surprises : ainsi, dès 1926, le Japon eût à cœur de fonder le Nouvel Orchestre Symphonique (aujourd’hui connu sous le nom d’Orchestre Symphonique de la NHK), marquant ainsi son engouement pour la musique symphonique occidentale, et ce à une époque où les échanges culturels ne connaissaient pas les facilités de notre siècle actuel.
Mentionnons enfin, avec un infini respect, les 3 institutions vétérans : l’Orchestre du Gewandhaus de Leipzig (né en 1781), la Staatskapelle de Dresde (fondée en 1548) et l’Orchestre Royal du Danemark qui œuvre sans discontinuer depuis… 1448 !
Et la France dans tout ceci ? La France ne fut pas en reste, à Paris comme dans ses provinces de l’Est : ainsi, l’Orchestre Symphonique de Mulhouse vit le jour en 1867, d’abord sous la forme d’un orchestre municipal, à l’image de l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg qui – lui – apparut dès 1855.
À Paris, depuis son concert inaugural du 8 mars 1828 (où Beethoven était à l’honneur), l’Orchestre de la Société des concerts du Conservatoire animait ardemment la vie musicale de la capitale, créant au passage plusieurs œuvres de Berlioz (dont la Symphonie Fantastique).
Le public se passionnait pour le genre symphonique (les compositeurs aussi) : Franz Liszt enfantait son nouveau format intitulé « poème sympho- nique », les concertos avec soliste (pour piano et violon principalement) fleurissaient partout, les symphonies (enfin dégagées de l’empreinte écrasante laissée par Beethoven) naissaient sous la plume de Brahms, de Schubert, de Schumann, de Mendelssohn… Tant et si bien que le valeureux orchestre du Conservatoire, malgré sa décision de doubler le nombre de ses concerts en 1867, ne pouvait plus suffire à satisfaire la demande. C’est ainsi que Jules Pasdeloup créa son propre ensemble en 1861 (également par le biais d’une politique tarifaire très avantageuse, pour rendre la musique symphonique accessible à toutes les couches sociales de la population).
A cette demande accrue de la part du public, une autre réalité se fit jour : la vie musicale parisienne, malgré l’initiative de Pasdeloup, se refermait sur une programmation de plus en plus conservatrice. Les institutions officielles regardaient d’un œil méfiant les jeunes pousses qui tentaient de s’affranchir des traditions, et les jeunes compositeurs peinaient à se faire entendre… En 1871, au sortir de la guerre franco-allemande, Camille Saint-Saëns et Romain Bussine (soutenus par de jeunes compositeurs tels que César Franck, Henry Duparc, Théodore Dubois, Jules Massenet ou Ernest Guiraud) ont certes créé la Société Nationale de Musique (SNM), destinée à promouvoir la jeune musique française, mais l’action de cette institution, sans doute faute de moyens financiers, se focalisait presque exclusivement sur la musique de chambre (les œuvres pour orchestre étaient présentées dans une réduction pour 2 pianos). Jules Pasdeloup poursuivait certes son entreprise, créant ça et là quelques pages nouvelles (telle la 1ère Suite de l’Arlésienne de Bizet), mais la promotion de la jeune musique ne constituait pas l’axe prioritaire de son action.
C’est donc dans ce contexte que l’éditeur Georges Hartmann sollicita Edouard Colonne, alors jeune chef d’orchestre en vue, pour fonder un nouvel orchestre destiné à être une vitrine pour la jeune musique sympho- nique française. Voilà pourquoi l’Orchestre Colonne, durant sa première saison, œuvra d’abord sous le nom de Concert National.
C’est important, un nom. Ça renseigne sur l’objectif qui anime le projet. Lorsque Edouard Colonne fonde son orchestre sous le nom de Concert National, il dévoile ainsi la volonté qui guide son projet : permettre aux jeunes compositeurs français de se faire entendre.
La première saison rencontra un succès immédiat. La salle était pleine, les spectateurs étaient au rendez-vous. Pourtant, le bilan financier s’avéra catastrophique… En cause : le trop faible nombre de places assises qu’offrait le Théâtre de l’Odéon où l’orchestre avait choisi de se produire. Une salle pleine ne couvrait même pas les frais.
Georges Hartmann, un peu effrayé, se retira de l’entreprise. Edouard Colonne, lui, ne se découragea pas : il décida d’entamer une deuxième saison, mais en prenant bien soin de transférer ses concerts au Théâtre du Châtelet (lequel offrait une capacité d’accueil bien supérieure). Ne pouvant plus utiliser le nom de Concert National, pour des raisons juridiques, l’orchestre se renomma alors Association Artistique des Concerts Colonne.
Durant les années qui suivront, Edouard Colonne s’attachera à promou- voir également la musique étrangère, invitant aussi certains compositeurs à venir diriger leurs propres œuvres, tels Richard Strauss, Tchaïkovsky ou Mahler, comme il s’attachera à ressusciter l’ensemble des œuvres de Berlioz. Beaucoup de concerts ont constitué des jalons importants dans la vie musicale parisienne, tel celui du 19 janvier 1908 où Claude Debussy vint diriger la Mer à la tête de l’Orchestre Colonne. Ce jour-là, Debussy connut un véritable triomphe et son œuvre put, enfin, s’imposer comme une référence majeure (balayant le mauvais souvenir laissé par la création de 1905, sous la direction de Camille Chevillard).
En 1910, à l’âge de 71 ans, Edouard Colonne disparaît. Gabriel Pierné lui succède jusqu’en 1932. Suivront Paul Paray, Charles Munch, Pierre Dervaux, Antonello Allemandi, Laurent Petitgirard et, aujourd’hui, Marc Korovitch.
Pour fêter dignement nos 150 ans, il fallait un programme qui soit à la hauteur de l’événement, un programme qui mette à l’honneur la musique française (que Edouard Colonne a toujours abondamment servie), qui musarde parmi des œuvres ou des compositeurs phares de notre histoire.
Ouvrir ce concert par l’Apprenti Sorcier peut paraître étonnant lorsque l’on sait que l’Orchestre Colonne n’a jamais créé aucune œuvre de Paul Dukas. Les partitions symphoniques de Dukas sont certes très peu nom- breuses (le compositeur exerçant une auto-critique excessive envers lui-même, nous privant de ce fait de maintes œuvres qui furent jetées au feu), mais le peu d’opus que Dukas consentit à faire jouer furent ma- joritairement confiés aux Concerts Lamoureux.
Dès lors, pourquoi inscrire cet ingénieux scherzo en ouverture de notre programme ? Tout simplement parce qu’il représente une manière de quintessence de l’art français, et que, à ce titre, l’Orchestre Colonne le programma très régulièrement.
Basé sur une ballade de Goethe, ce Poème symphonique décrit les aventures d’un jeune apprenti sorcier qui, profitant de l’absence de son maître, tente d’animer un balai pour que celui-ci nettoie la maison à sa place. Effectivement, le balai prend vie, se saisit de seaux et commence à remplir une bassine d’eau. Ses allées et venues entre la maison et la rivière toute proche obéissent à un pas d’une régularité immuable, d’un entêtement quasi mécanique. Mais, bientôt, le balai devient incontrôlable… tant et si bien que la maison menace d’être inondée. Ne parvenant pas à retrouver la formule qui mettrait fin au sortilège, le jeune apprenti brise le balai en deux. Hélas… les deux morceaux du balai s’animent à leur tour et reprennent de plus belle leur travail ! Cette fois, la maison est noyée sous les flots déversés par la ronde incessante des seaux d’eau. L’apprenti est complètement affolé, dépassé par cette situation qu’il a lui-même créée mais qu’il ne parvient plus à contrôler. Enfin, le maître sorcier parait : d’un geste, il immobilise les balais, rompt l’enchantement et chasse l’eau hors de sa maison.
La partition de Dukas, usant d’une orchestration extrêmement variée, à l’inventivité inouïe, retrace le conte de Goethe en suivant quasiment mot à mot les péripéties de l’histoire : le balai qui s’anime peu à peu, ses rondes incessantes muni de seaux d’eau, le gonflement inexorable des flots dans la maison (extraordinaire crescendo orchestral), les coups de hache qui brisent le balai en deux, etc. Bien plus qu’une musique à programme (comme peut l’être la Symphonie Fantastique de Berlioz), l’Apprenti Sorcier est l’image même, l’exemple parfait de ce que peut être une musique descriptive : « j’ai rarement entendu musique aussi descriptive, aussi vraie d’expression que celle-là » résumait Déodat de Séverac… Il ne se trompait pas.
En 1940, présentant le jeune apprenti sous les traits de Mickey (dans le film Fantasia), les collaborateurs de Walt Disney suivirent exactement le même processus.
Signalons que Pierre Dervaux et l’Orchestre Colonne ont gravé une version assez ébouriffante de l’Apprenti Sorcier (EMI), au tournant des années 60, dans une prise de son stupéfiante.
Créé le 2 janvier 1903 par le compositeur lui-même à la tête de l’Orchestre Colonne, ce délicieux Concertstück pour harpe, très représentatif de l’écriture élégante et toujours raffinée de Pierné, aligne trois mouvements enchaînés : Allegro moderato, Andante, Allegro scherzando.
C’est en cette même année 1903 que Pierné devient chef associé auprès de Edouard Colonne, initiant une belle carrière de chef d’orchestre qui, malheureusement, éclipsera un peu ses qualités de compositeur. Hélas, la situation n’a guère changé… Les œuvres qu’il nous a laissées sont trop peu souvent jouées sur notre territoire.
Hormis ce Concertstück, je ne peux que vous inviter à tendre une oreille attentive à son magnifique ballet Cydalise et le Chèvre-pied. Trois belles versions s’offrent à vous : David Shallon (Orchestre Philharmonique du Luxembourg – Label Timpani), Jean-Baptiste Mari (Orchestre de l’Opéra de Paris – Label EMI), et Jean Martinon (Orchestre National de l’ORTF – Label Erato).
On peine à le croire mais, lorsque Edouard Colonne fonda son orchestre, Berlioz était déjà bien oublié… Ses œuvres avaient déserté les programmes de concert. Aussi, l’une des missions que Colonne s’était fixées était de redonner à Berlioz l’audience et l’aura qu’il méritait. Saison après saison, l’intégralité de l’œuvre berliozienne fut donc ressuscitée. La Symphonie Fantastique et, surtout, la Damnation de Faust revenaient régulièrement à l’affiche. En décembre 1902, la Damnation de Faust en était déjà à sa 115ème audition (avec une délicieuse mention sur l’affiche : « 115ème et dernière audition »… ce qui n’empêcha pas une 116ème audition dès le 11 janvier 1903 !).
Trois dates essentielles jalonnent l’élaboration de la Symphonie Fantastique :
· le 11 septembre 1827, un Hector de 24 ans assiste à une représen- tation de Hamlet donnée au Théâtre de l’Odéon : découverte de l’univers shakespearien, et coup de foudre absolu pour l’interprète d’Ophélie (Harriet Smithson). Berlioz composera d’ailleurs une ballade, en 1842, intitulée la mort d’Ophélie ;
· en 1829, Berlioz projette d’écrire une «symphonie descriptive», basée sur le Faust de Goethe. Pour un jeune homme initié dès son plus jeune âge au néo-classicisme (et vouant un culte à Virgile, Gluck ou Spontini), la découverte soudaine de Beethoven, de Weber, de Shakespeare et de Goethe faisait œuvre de révolution, remettant à plat toutes les certitudes antérieures… jusqu’à entrevoir une forme symphonique nouvelle, certes héritée de Beethoven mais ancrée dans un programme qui devait prendre forme dans cette « symphonie descriptive ». La symphonie ne verra jamais le jour en tant que telle, mais deviendra le dernier mouvement (basé justement sur le Faust de Goethe) de la Symphonie Fantastique ;
· de février à avril 1830, Berlioz jette sur le papier les 5 mouvements qui structurent sa Symphonie Fantastique. Et « fantastique » est bien le mot juste pour qualifier cette œuvre où tout est nouveauté : le son orchestral d’abord (jamais l’orchestre n’avait sonné de cette façon avant Berlioz, comme une juxtaposition chambriste de timbres individualisés, jusqu’à la surprise d’un tutti soudain et fugitif) ; le programme ensuite (Berlioz fit même publier dans le Figaro, la veille de la création, les intentions dramatiques qui parcourent et déterminent le discours de sa symphonie) ; le foisonnement des idées, enfin, qui s’enchaînent ou s’entrechoquent (on trouve pêle-mêle des références au Faust de Goethe, une citation du Dies Irae, ses propres sentiments amoureux pour Ophélie/Harriet, une démesure digne de Shakespeare et l’obsession du délire ou le délire de l’obsession, comme on veut…).
Œuvre « fantastique » et dont l’aspect désordonné trahit la fougue de la jeunesse, certes, mais c’est de cette œuvre bouillonnante et géniale que provient le terme désormais répandu de « musique à programme », que vient également le genre du poème symphonique dont Liszt, en digne héritier de Berlioz, fixera les contours.
La vie est parfois pavée de hasards, l’histoire de la musique aussi. Comment ne pas s’étonner qu’un jeune compositeur de 27 ans, à peu près inconnu en 1910 (et peu expérimenté de surcroît), se soit vu confier un projet aussi vaste que celui d’écrire la musique pour l’Oiseau de Feu, spectacle phare de la 2ème saison des Ballets Russes ?
Revenons sur le contexte historique : la 1ère saison des Ballets Russes, pourtant accueillie avec succès par le public parisien, avait laissé les finances de la compagnie exsangues. La ruine n’était pas loin… Aussi, pour la deuxième saison, Serge de Diaghilev (son directeur) décida de resserrer les spectacles autour d’une création marquante : l’Oiseau de Feu, basé sur une synthèse de divers contes russes, mêlant l’onirisme du fantastique à la fascination de la magie. Michel Fokine (premier danseur et chorégraphe de la compagnie) fut chargé d’élaborer la trame narrative. Tout naturellement, Diaghilev se tourna vers Nicolaï Tcherepnine (com- positeur et chef d’orchestre attitré de Diaghilev) pour réaliser la partition musicale. Hélas, une profonde mésentente entre Tcherepnine et Fokine décida le compositeur à se retirer du projet. Diaghilev se tourna alors vers Anatole Liadov, lequel mettait un temps infini pour écrire la moindre note. Au bout de 6 mois, Liadov n’avait toujours rien écrit… En désespoir de cause, il proposa son projet à ce jeune Stravinsky dont il avait entendu (en février 1909, à Saint-Pétersbourg) deux courtes pièces orchestrales qu’il avait trouvées assez réussies : le Scherzo fantastique et Feux d’artifice.
Pour Stravinsky, quelle aubaine ! Quelle chance à saisir ! Mais… composer une musique d’environ 45 minutes pour un ballet entier… le pas à franchir était énorme ! Et le pari fut un coup de maître.
Le 25 juin 1910 : l’Oiseau de Feu fait ses premiers pas sur la scène de l’Opéra Garnier. Ni Serge de Diaghilev, ni Michel Fokine, ni Léon Bakst (créateur des costumes), ni même le jeune Stravinsky ne se doutaient qu’ils ouvraient ce jour-là une page essentielle et novatrice du ballet moderne, laquelle allait se prolonger en 1911 par Pétrouchka, puis en 1913 avec le scandale (bénéfique) du Sacre du Printemps.
Conscient du succès de son Oiseau de feu, Stravinsky en tira bientôt une suite d’orchestre destinée au concert. Trois versions de cette suite ont finalement vu le jour : la première fut élaborée en 1911, la deuxième en 1919 (c’est la plus connue, la plus enregistrée) suivie d’une troisième en 1945 (plus longue, plus complète, et particulièrement intéressante).
Une chose que l’on sait moins, car peu souvent mentionnée : c’est l’Orchestre Colonne, dirigé par Gabriel Pierné, qui assura la création de l’Oiseau de Feu. Création éblouissante et triomphale ! Maurice Ravel lui- même, écrivant à son ami Maurice Delage, ne put s’empêcher de clamer son admiration : « venez vite, je vous attends pour retourner à L’Oiseau de Feu ; ça va plus loin que Rimski. Et quel orchestre ! ».
Au-delà de cet Oiseau de Feu, il n’est pas aberrant de penser que ce serait également l’Orchestre Colonne, du moins, une immense majorité de ses musiciens, qui aurait assumé la création du Sacre du Printemps. Sachant que cette création, en 1913, était dirigée par Pierre Monteux, que Pierre Monteux avait été alto solo à Colonne et que c’est là qu’il avait fait ses premières expériences de chef d’orchestre…
Le 2 avril 1911, Gabriel Pierné (successeur de Edouard Colonne, disparu l’année précédente) inscrivit au programme de son concert la création d’une toute nouvelle œuvre de Maurice Ravel : une suite d’orchestre, sobrement intitulée Fragments Symphoniques, tirée d’un ballet encore à venir et qui devra porter le nom de Daphnis et Chloé. Il n’est d’ailleurs pas si courant de voir créée une suite d’orchestre issue d’une oeuvre encore inachevée ! Cette suite d’orchestre sera plus tard répertoriée comme Suite n°1, une 2ème Suite (correspondant à la 3ème et dernière partie du ballet, mais expurgée des parties chorales) ayant vu le jour en 1913.
A l’image de l’Oiseau de Feu, Daphnis et Chloé doit son existence à Serge de Diaghilev et aux Ballets Russes. Diaghilev avait un talent particulier pour repérer les artistes et créateurs de génie (ce qu’il prouva avec Stravinsky, le chorégraphe Michel Fokine, le danseur Vaslav Nijinsky ou le décorateur Léon Bakst). Ainsi, alors que la première saison des Ballets Russes enchantait Paris (en 1909), il contacta Maurice Ravel pour lui commander la partition d’un nouveau ballet, basé sur un roman pastoral écrit par Longus (un auteur grec vivant au IIème ou IIIème siècle), narrant l’amour du berger Daphnis pour la bergère Chloé, laquelle sera enlevée par des pirates et sauvée par le Dieu Pan. Il confia naturellement l’écriture du synopsis à Michel Fokine puisque l’idée de ce Daphnis et Chloé, en réalité, venait de lui, et projetta la création du ballet pour l’année 1911. Cependant, le projet connut quelques retards…
Tout d’abord, travailler avec Fokine n’est pas chose aisée pour Ravel. Ainsi écrit-il à une amie : « je viens de passer une semaine folle : préparation d’un livret de ballet destiné à la prochaine saison russe. A peu près tous les soirs, travail jusqu’à 3h du matin. Ce qui complique les choses, c’est que Fokine ne parle pas un mot de français et qu’en russe je ne sais que jurer. En dépit de la présence d’interprètes, vous pouvez imaginer la saveur de nos rencontres ».
Ensuite, l’enthousiasme de Ravel à la création de l’Oiseau de Feu ne doit pas nous dissimuler que celui-ci en ressortit assez ébranlé. La plume audacieuse de Stravinsky lui avait ouvert de nouvelles perspectives, de nouveaux enjeux. Maintes fois il ne pouvait s’empêcher de corriger sa partition, de réécrire certaines parties du livret, de remanier son orchestra- tion. Et il est audible que l’influence de Stravinsky s’avère flagrante dans certaines séquences de Daphnis et Chloé (non pas tant concernant la Danse générale conclusive, comme on peut le lire parfois, laquelle offre plutôt un clin d’oeil aux Danses Polovtsiennes de Borodine, mais concernant certains épisodes intermédiaires, y compris celui du choeur a capella).
En conséquence, la partition de Ravel ne put être achevée à temps, et la création fut repoussée à juin 1912.
Stravinsky, à son tour, s’enflamma pour cette oeuvre délibérément onirique, parée d’une orchestration rutilante, où la fulgurance de certains contrastes succède à une transparence inouie de couleurs diaphanes.
Suivant le souhait de Marc Korovitch, notre Directeur Musical, cette saison anniversaire instaure une nouvelle séquence dénommée « invitation au voyage ». Il s’agit d’inviter le public à venir découvrir une page peu connue, choisie avec soin mais dont l’identité sera tenue secrète, comme une manière de placer l’auditeur en état de virginité totale, à l’image d’une écoute en aveugle. Naturellement, à l’issue du concert, le nom de l’œuvre et son compositeur seront révélés.
L’Invitation au Voyage :
SZYMANOWSKI · Ouverture de Concert op.12
BIOGRAPHIES
Avec son toucher de velours, sa virtuosité et sa sensibilité, Mélanie Laurent est une jeune harpiste dont la renom- mée a déjà traversé les frontières. Couronnée d’un 1er Prix à l’USA International Harp Competition à Bloomington en 2019, l’un des concours les plus prestigieux du monde, elle est également la première harpiste à être nommée Talent Adami Classique.
D’abord initiée à la musique classique au sein d’une famille de musiciens professionnels, Mélanie a été formée auprès de Dominique Piussan et Ghislaine Petit-Volta, avant d’intégrer la classe d’Isabelle Moretti et de Geneviève Létang au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris. Après un 1er Prix au concours Léopold Bellan en 2017, sa victoire au concours international de Bloomington en 2019 la propulse sur la scène internationale.
Depuis lors, elle s’est produite en solo au festival MITO SettembreMusica à Milan et à Turin, au Lyon & Healy’s Hall à Chicago, à l’Indiana History Center d’Indianapolis, au festival Les Musicales de Normandie, et bien d’autres… En août 2021, elle partage la scène avec le violoncelliste Gautier Capuçon au cours de sa tournée « Un été en France ». Elle fait ses débuts avec l’Orchestre National du Capitole de Toulouse en janvier 2022 avec le Concerto pour flûte et harpe de Mozart, avec Joséphine Poncelin à la flûte et Marta Gordalinska à la baguette. Par la suite, elle interprète les Danse Sacrée et Danse Profane de Debussy à l’Opéra de Dubaï, accompagnée par l’Ensemble K et sa cheffe Simone Menezes. Ce concert a fait l’objet d’une captation diffusée sur la chaîne Mezzo le 8 mars 2022.
Depuis février 2023, Mélanie Laurent occupe le poste de harpe solo de l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg. Elle enseigne au Conservatoire de Strasbourg ainsi qu’à la Haute école des arts du Rhin.
Mise à l’honneur en couverture du magazine américain HarpColumn, Mélanie Laurent y est qualifiée de « source d’inspiration » tandis que la revue Resmusica vante son « jeu flamboyant, alliant puissance et précision ». D’après Gautier Capuçon, « Mélanie Laurent poursuit avec splendeur la grande tradition de la harpe française. »
Mélanie Laurent est lauréate de la Fondation Banque Populaire et de la Fondation Safran. Pour ce concert exceptionnel, Mélanie Laurent joue sur une harpe grâcieusement prêtée par le facteur de harpes Carmac.
Né en 1987, Marc Korovitch a étudié à la Sorbonne, à l’École Normale de Musique de Paris et à la Haute École de Musique de Genève. Il travaille avec Denis Rouger, Celso Antunes, Michael Gläser, Dominique Rouits et Colin Metters.
Il est régulièrement invité par différents chœurs : Accentus, le Chœur de Radio France, le SWR Vokalensemble Stuttgart, le Chœur de la Radio Croate, le NDR chor, le SWR Vokalensemble, le Europa Chor Akademie, le WDR Chor, les English Voices, le Chœur de la Communauté de Madrid, le Chœur de la Radio Serbe, le Chœur de Chambre Eric Ericson et le Chœur de la Radio Hollandaise.
Il est le plus jeune chef à avoir dirigé le Concerto Köln en Allemagne et en tournée en Italie et Pologne. Il dirige l’Orchestre de chambre de La Haye, l’Orchestre baroque de Zagreb, le Berliner Sinfonietta, l’Orchestre de la Radio Croate, l’Orchestre National de Montpellier ou encore l’Orchestre de la Radio et Télévision Espagnole RTVE.
Il collabore avec des chefs tels que Sir S. Rattle, H. Blomstedt, K. Mäkelä, D. Harding, L. Shani, G. Dudamel, A. Gilbert, P. Jordan, L. Langrée, L.G. Alarcon, L. Equilbey, E. P. Salonen, J. van Zweden… dans des salles comme la Philharmonie de Paris, Theater an der Wien, Elbphilharmonie de Hambourg, Lincoln Center de New York, Berwaldhallen à Stockholm, l’Auditorium National de Musique de Madrid, le Tokyo Opera City et lors de grands festivals tels que celui de Radio-France à Montpellier, les Rencontres Musicales d’Evian, la Mozartwoche à Salzbourg ou encore le festival mostly Mozart à New York.
Il a été chef du Jeune Chœur de Paris de 2017 à 2024 et chef principal du Chœur de l’Orchestre de Paris entre 2022 et 2023. Il est nommé chef du Chœur de la Radio Suédoise en 2019, directeur musical de l’Orchestre Colonne en septembre 2022, de l’Orchestre Symphonique du Monténégro en 2023 et du Choeur de la Radio et Télévision Espagnole RTVE en 2024.
Passionné par la pédagogie, il est professeur de direction au Conservatoire à Rayonnement Régional de Paris et au Pôle Supérieur Paris Boulogne Billancourt.
emarqué par Pierre Boulez et distingué par l’ADAMI en 2014 avec un Premier Prix « Talent Chef d’Orchestre », Julien Leroy est l’un des chefs français éclectique les plus prometteurs de la nouvelle génération.
Cette récompense salue un parcours que jalonnent non seulement un poste de chef assistant de l’Ensemble Inter- Contemporain de 2012 à 2015, d’abord auprès de Susanna Mälkki, puis de Matthias Pintscher, mais aussi des débuts avec nombre de phalanges internationales : l’Orchestre de la Suisse Romande, l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo, le Nouvel Orchestre Philharmonique du Japon, l’Orchestre Symphonique de Tokyo, l’Orchestre National de Belgique… En France, il est invité à diriger l’Orchestre Philharmonique de Radio France, l’Orchestre National d’Ile-de-France, l’Orchestre National de Lille, de Metz, des Pays de la Loire, d’Auvergne…
Artiste reconnu dans la création contemporaine, il est chef principal de l’ensemble United instruments of Lucilin (Luxembourg) depuis 2018, Directeur Musical du Paris Percussion Group (2014), et invité régulier de l’EIC, Klangfurum Wien, Birmigham Comtempory Music Group, Lemanic ensemble, et Slee Sinfonietta de Buffalo. Chef associé de l’Académie du Festival de Lucerne de 2012 à 2015, il collabore alors auprès de Sir Simon Rattle, Peter Eötvös, David Robertson et dirige un programme hommage à Pierre Boulez dans la Salle des concerts du KKL en août 2015.
Il collabore dès lors étroitement avec l’Opéra Comique avec la tournée européenne de Kein Licht, thinkspiel de Philippe Manoury en 2017, La Dame Blanche de Boildieu en 2020 et La Périchole d’Offenbach en 2022.
Ses enregistrements comprennent un portrait de Thierry Escaich à la Maison de Radio France, le concerto pour Piano de Gilbert Amy avec Jean Francois Heisser, et la sortie prochaine d’un DVD de La Périchole dans la mise en scène de Valérie Lesort à l’Opéra Comique.
Violoniste de formation, Julien Leroy s’initie à la direction d’orchestre au sein de la S.Celibidache Stiftung München auprès de Konrad von Abel. Il poursuit sa formation au Conservatoire de Paris et se perfectionne lors de Master classes dirigées par Valery Gergiev, Kurt Masur, Jorma Panula et Daniel Harding. En 2009, il est lauréat du Young Artists Conducting Program du Centre National des Arts d’Ottawa et rejoint l’Académie du Festival de Verbier auprès de Kurt Masur. La même année, il est distingué par l’Honorable Mention Award du XVe Concours international de direction d’orchestre de Tokyo.
Julien Leroy consacre également une part importante de son activité à la pédagogie. Il est nommé Professeur de direction d’orchestre au Conservatoire à Rayonnement Régional de Metz en 2010 et s’engage en faveur du dispositif DÉMOS portée par la Philharmonie de Paris.